De tout mon cœur

Tribute to Tim Burton


Lorsque Bérénice ouvrit son courrier, elle sentit comme un uppercut en plein cœur. Son amie d’enfance se mariait… Cathy. Ces dernières années, elle s’était peu à peu éloignée d’elle, incapable de lui avouer ses vraies sentiments. Elle croyait pourtant avoir tourné la page. Et voilà que cette maudite invitation rouvrait la plaie. Son cœur se retrouvait transpercé, comme à chaque nouveau petit ami que Cathy lui avait présenté. Mais aujourd’hui, c’était définitivement trop tard.

Bérénice laissa tomber le carton au sol. Elle tremblait. Enfonçant ses ongles dans ses paumes, retenant ses larmes, les dents serrées, elle gémit : « Mais pourquoi a-t-il fallu qu’elle m’invite ? ». C’était une torture dont elle ne voyait pas la fin.

Bérénice glissa dans ses souvenirs. Adolescentes, elles passaient des heures dans la chambre de l’une ou de l’autre, à refaire le monde et imaginer leur vie future. Elles avaient même rempli un classeur pour leur mariage idéal : les fleurs, le lieu, la saison, chaque détail était pensé. Et au centre de tout cela, une promesse : qu’elles seraient présentes l’une pour l’autre, ce jour-là. Voilà pourquoi elle était invitée. Une promesse d’enfance, que Bérénice avait presque oubliée, mais dont Cathy, elle, se souvenait. Elle lui en voulut pour cela. Elle voulait la détester… une bouteille de vin était nécessaire. Pleurer en buvant était devenu sa spécialité.

Après avoir maudit ce futur mariage, et but l'intégralité de deux bouteilles, Bérénice s’effondra sur son canapé, s’enfonçant dans un rêve étrange. Elle était perdue au cœur d’une forêt sombre, en pleine nuit. Des roses épineuses l’encerclaient et déchiraient la robe de mariée dont elle était vêtue. Elle entendit une mélodie lointaine et aperçut une lumière qui l’attira dans une salle de fête. Le buffet était infesté d’insectes grouillants. Effrayée, Bérénice recula, heurtant des invités masqués disposés en file indienne. La file menait jusqu’à Cathy, vêtue de noir, aspirant le cœur de chacun pour remplir le sien.

Bérénice se réveilla en sueur, vomit au pied du canapé, puis se rendormit comme une masse, épuisée.


Le lendemain matin, elle ne se souvint pas de son rêve. Mais un mal de tête était là pour lui rappeler sa cuite de la veille. Elle nettoya péniblement les restes de sa soirée, y compris ceux aux pieds du canapé, prit une douche et partit travailler. « On dirait une morte-vivante… », « Tu as une tête à faire peur, tu as oublié le maquillage aujourd’hui ? ». Les collègues ont toujours les mots qu’il faut pour vous remonter le moral. Si son second ibuprofène chassa enfin le marteau de son crâne, rien ne semblait pouvoir effacer ni ses cernes ni la blessure de son cœur.


Bérénice se sentait vidée. L’invitation refit surface dans sa mémoire, le mariage, et son rêve étrange. Pourquoi les souvenirs viennent-ils par vagues, vous submergeant avec tout ce qui fait mal, tout ce qui vous détruit, pour ensuite déposer l’écume des détails, ceux qui vous permettent de donner un sens à tout cela ?


Elle se rappela alors des jeux que Cathy affectionnait. Souvent cruels et moqueurs, comme offrir des roses décapitées à une amie fraîchement larguée, ou épingler des papillons sur les cartes de Saint-Valentin qu'elle envoyait à ses amours éphémères. Bérénice fut secouée d’un haut-le-cœur : elle n’avait pas osé se jouer d’elle  ?


Lorsqu’elle rentra enfin, elle se précipita sur le carton d’invitation. La veille, la simple vue du nom de Cathy, du mot "mariage", avait suffi à la bouleverser. Mais aujourd’hui, elle scruta les mots, chaque détail… la date, le lieu : identiques à ceux de leur mariage de rêve d’adolescentes. Mais aucun autre nom. Juste celui de Cathy. Pas de marié ? 


Elle retourna le carton et, en grosses lettres rouges, y était écrit :

« Avec toi si tu te décides enfin ?

De tout mon cœur,

Cathy XXX »