Combien de jours s’étaient écoulés depuis qu’elle était emprisonnée dans cette grotte ? Elle n’en avait plus la moindre idée. Maudits oiseaux qui l'empêchaient de sortir, maudits animaux qui l’ensevelissaient vivante. Elle était punie, alors qu’elle n’avait fait que se nourrir. Zenia dut se rendre à l’évidence : elle ne reverrait plus la lumière du soleil.
Elle se souvint de cette dernière aube. La douce chaleur solaire sur son pelage l’avait tirée de ses rêves. Couchée au milieu des herbes hautes, non loin du lac, ses sens se réveillèrent un à un, mais ce fut la faim qui l’éveilla complètement. Trois jours sans manger. Elle devait se remettre en chasse, et vite.
Aujourd’hui encore, dans l’obscurité oppressante de la grotte, jaillissait à ses narines le souvenir de l’odeur de sa dernière proie. Un fumet si riche, la promesse d’un festin incomparable.
Elle s’étira de tout son long, réveillant à leur tour chacun de ses muscles. L’odeur était si intense. Elle savait qu’elle n’aurait pas beaucoup de temps pour se préparer. En effet, à peine eut-elle levé la tête au-dessus des herbes qu'elle l’aperçut, en train de s’abreuver au bord du lac. Tout était encore endormi autour d’elles. Il n’y avait qu’elle, si proche.
Zenia frémit, elle reconnut la bête immédiatement. Tant d’histoires, tant de légendes circulaient, mais jamais elle n’aurait cru voir un jour une artémis. Sa crinière bleue ne laissait aucun doute, tout comme son visage, si différent des autres créatures qu’elle connaissait. C’était interdit de les chasser, elle le savait. Une malédiction attendait quiconque osait goûter à leur chair. Mais aucune autre proie ne s’était présentée à elle depuis trois jours. Et la faim la rongeait. Elle n’avait plus le choix.
La faim… cette traîtresse. Elle aiguise les sens, renforce la volonté, mais elle prive de raison. Elle efface les interdits et les précautions. Lorsqu’elle prend les commandes, il n’y a plus d’autre choix que de la satisfaire, à tout prix.
Zenia ne se souvenait même pas d’avoir bondi. Ni du moment où elle avait tranché la gorge de la biche sacrée. Elle retrouva ses esprits trop tard, une fois repue. L’irréparable était commis.
La savane se vengea. Des oiseaux avaient été témoins de son crime, et leurs cris stridents portaient déjà la nouvelle à travers toute la contrée. Pourquoi ne les avait-elle pas vus avant ? Pourquoi ne les avait-elle pas dévorés à la place de l’interdit ? Ces questions la hantaient encore dans le silence de sa prison.
Zenia devint la proie. Amis comme ennemis s’étaient retournés contre elle, aucun n’avait voulu l’écouter, la comprendre ou lui pardonner. Ils l’avaient traquée, jusqu’à ce qu’elle soit acculée dans cette grotte. Son tombeau. Ses hurlements rebondissaient dans le noir, mais rien, rien ne pourrait les sauver. Cette fois, la faim n’aurait pas le temps de les tourmenter, car la soif les étranglait déjà, elle et les petits qu’elle portait dans son ventre. C’était pour eux qu’elle avait osé, pour leur donner une chance de grandir et de voir le jour. Elle avait dévoré le sacré pour ses bébés, mais c’était leur mort qu’elle avait goûtée. Jamais ils ne sentiraient la douce chaleur de l’aube, ne chasseraient dans les herbes hautes de la savane. Ni ne savoureraient la chair de quelque proie que ce soit.